Quelques premières impressions sur Prometheus, sur le vif.

Quelques premières impressions sur Prometheus, sur le vif.

4 décembre 2012 0 Par Julien Maudoux

J’ai vu Prometheus. Je n’ai pas eu de grandes surprises, mais c’est ma faute : comme d’autres personnes qui aiment la saga Alien, il m’avait été impossible de résister à l’analyse des bandes-annonces, des photos et des extraits livrés pendant longtemps au compte-goutte, avant une avalanche finale qui a puni, je pense, les fans s’étant livré à ce jeu, en leur donnant bien trop d’éléments pour qu’ils ne soient pas, en quelque sorte, blasés par un film dont ils connaissaient déjà par cœur, à peu près, le déroulement et les détails. Il était en effet assez simple, une fois la bande-annonce définitive sortie, et en y ajoutant les éléments des autres bandes-annonces, de reconstituer le puzzle et de restituer la moelle épinière du film. Le marchandisage des films, en ce qui concerne l’aspect promotionnel, est bien trop révélateur dans l’industrie cinématographique contemporaine ; or un film comme Prometheus mérite d’être appréhendé dans l’ignorance pour être perçu dans sa force. C’est d’autant plus vrai que ce film, par rapport aux sujets qu’il aborde et aux ambitions annoncées, est, pour des raisons que je vais préciser, comme le squelette de ce qu’il a pu être avant que des considérations marchandes n’entrent en compte et tailladent plus ou moins rudement dans les pellicules.

Mon plus gros regret est, en effet, l’apparent refus actuel de Ridley Scott de faire sortir une version longue du film. Le réalisateur indique que les sorties DVD/Bluray seront augmentées de scènes étendues, mais ce n’est pas la même chose. Scott ne cache pas qu’il a dû couper pour que son film ait la plus large diffusion possible — c’est-à-dire ne pas être interdit aux moins de 18 ans — mais l’on sent également la patte des diffuseurs dans l’affaire, qui avaient tout intérêt à limiter à deux heures la durée du film pour maximiser leurs profits, ce qui occasionne des réductions de scène ma foi perceptibles au visionnage (je ne dis pas que l’on ressentirait les coupures, mais qu’on a l’impression qu’à tel endroit il « manque » quelques secondes ou minutes, que tel dialogue « devrait » être plus long) et en fait avérées par le fait que certaines images ou certains dialogues présents dans le contenu promotionnel sont absents du film. C’est dommage, car je pense que le film passerait beaucoup mieux s’il disposait de davantage de temps pour préparer certains évènements et faire coupure entre les mésaventures diverses qui s’acharnent à tomber sur les personnages ; j’ai trouvé également les scènes finales extrêmement rapides, et tellement célères en vérité que l’on ressent moins l’impression du chaos qui environne les personnages que le sentiment que l’on assiste à des développements expédiés. Le début de l’attaque de Shaw par l’Ingénieur notamment, est vraiment trop court pour que l’on ressente véritablement qu’elle est en danger : elle ouvre aussitôt la pièce du medipod, laissant l’imprégnateur maîtriser le géant tandis que Shaw réussit à s’enfuir sans grand trouble. Ce n’est pas seulement une question d’équilibre des parties ou de rythme de l’intrigue ; il y va aussi de la caractérisation des personnages — bien limitée dans le film pour les secondaires —, de la répartition de la tension — qui est atténuée en général par ce format raccourci du film — et de la respiration de l’ensemble. Les questionnements soulevés par les personnages et l’histoire auraient eu besoin de ce temps supplémentaire pour mieux s’installer et gagner la profondeur qui leur manque ; certaines situations, certaines caractérisations, auraient pu être mises en place de manière moins mécanique et facile que celles auxquelles nous assistons.

Ce dernier problème est, de toute manière, constitutif du cinéma à très grand public, et, plus précisément, du grand spectacle devant suivre les règles de l’art du système hollywoodien. Prometheus ne fait pas défaut à certaines des plus évidentes d’entre elles, spécifiquement dans le traitement des personnages secondaires, dans la présence imposée de traits d’humour, dans le côté non nuancé et direct de la tenue de certains points de l’intrigue et, enfin, dans certains dialogues. Sur ce point, il est difficile de blâmer les scénaristes ; le problème provient plutôt du système et de ses conventions (je me demande d’ailleurs parfois si elles sont moins dictées par ce qu’attend véritablement le spectateur lambda que par la croyance que les éléments qu’elles mettent en place sont véritablement attendus par celui-ci), et du caractère peut-être trop grand public du film pour que son exécution puisse atteindre la hauteur des enjeux que lui-même se propose. On retrouve donc les habituelles « facilités » de ce genre de productions, par exemple dans la gentillesse et mignonnerie des copilotes qui n’ont pas l’air de se poser un cas de conscience face à la situation et blaguent un peu trop en allant vers leur mort, dans la relation entre Fifield et Milburn et le changement assez mal amené du comportement de ce dernier, passant de la froussardise à une curiosité moyennement réaliste étant donné les circonstances… Pour les personnages disposant de plus de temps d’écran, l’affaire est meilleure, mais des dialogues supplémentaires ou approfondis les auraient rendus plus épais et auraient offert à certains acteurs plus d’occasions de briller, par exemple Charlize Theron et Guy Pearce — j’ajoute sur ce point une autre critique de la structure coupée du film, qui produit pour principal effet pervers un caractère disjoint qui donne l’impression que, Shaw mise à part, les personnages ne se rendent pas vraiment compte ou ne prennent pas conscience des évènements terribles qui viennent de se produire autour d’eux (le choc de Vickers après avoir incendié Holloway est, par exemple, sans suite). Je ne m’étendrai pas sur Michael Fassbender (David est mon personnage préféré du film, bien entendu ; j’aurai tant aimé qu’il soit encore davantage utilisé) et Noomi Rapace (alors que beaucoup ont rapproché Shaw de Ripley, je trouve pour ma part qu’il y a pas mal de différences entre les deux personnages, et la fin oriente décidemment très différemment leurs devenirs), dont les qualités et la force d’interprétation ont déjà été suffisamment reconnues et soulignées, à juste titre. J’admets que je n’arrive plus vraiment à m’intéresser aux personnages des films de ce type (même ceux que pourtant j’aime ou que j’aime bien), étant donné que les séries télévisées nous donnent l’occasion d’avoir des personnages beaucoup plus fouillés, évolutifs et intéressants, sur le long terme ; cependant, il me semble qu’une plus longue durée de métrage (une demi-heure de plus ? je ne sais pas…) aurait permis d’améliorer grandement ces points et de donner plus de chair scénaristique et conceptuelle au film. J’ai beau être étique, je n’aime pas beaucoup les films décharnés.

Du moins cet aspect ne se retrouve pas, mais alors pas du tout, dans les images et dans la réalisation visuelle du film, tout au contraire. L’ouverture annonce parfaitement la réussite graphique globale de Prometheus : paysages sublimes et parfaitement choisis, scènes de synthèse et effets spéciaux absolument maîtrisés, décors concrets monumentaux, ambiance adéquate… Je dois une mention spéciale pour la conception des Ingénieurs, très bien trouvée, à la lisière entre l’humain et l’humanoïde, tout juste au bon endroit dans la Vallée dérangeante pour qu’ils suscitent, soit selon les moments, soit en même temps, l’intimidation, la frayeur, et la fascination. Êtres à la fois proches de nous, et à la fois insondables ; êtres qui, un instant, activent leur console de commandes en utilisant les ondes musicales produites par un flûte, et, un autre, se ruent avec férocité vers nos hérauts pour les détruire ; êtres qui, à un moment de leur Histoire, créent la Vie sur Terre, et à un autre décident de l’éradiquer… J’ai bien aimé également la créature surnommée « hammerpede », ou xénocobra, produite par la rencontre de vers provenant de l’extérieur de la structure pyramidale avec la substance noire, et bon exemple de son potentiel extraordinaire de nocivité, de création et de mutation ; je regrette cependant qu’après une bonne entrée en scène elle disparaisse aussi rapidement. Le corps étranger que l’on aperçoit brièvement dans l’œil d’Holloway est une bonne addition, peut-être plus suggestive que l’infection généralisée qui le touche par la suite, surtout impressionnante avant l’arrivée près du vaisseau. La mutation de Fifield est, elle aussi, surtout impressionnante à ses débuts, avec sa posture anthologique lorsqu’il est découvert au pied du vaisseau. Le « fils de Shaw », sorte de cousin éloigné et géant du bien connu facehugger, dont la fonction se résume, comme son illustre prédécesseur cinématographique, à imprégner une pauvre victime, est une autre addition au bestiaire de l’univers d’Alien qui m’a semblée bien recevable.

Les fans se déchirent cependant au sujet du monstre révélé au dénouement du film, produit de la si sensuelle rencontre entre l’Ingénieur et le pénis-tentacule de l’imprégnateur ; je ne préfère pas entrer vraiment dans le débat, qui va rendre fous certains d’entre eux sans doute. La créature inventée par H. R. Giger, l’Alien titulaire d’Alien, a été une réussite sans précédent, et peut-être le monstre le plus infâme et le plus fascinant qui soit. Le fameux xénomorphe (dans son évolution adulte) a cependant rapidement perdu de son mystère et de sa superbe au fil des films, en raison de nombreux facteurs. Malgré l’incroyable menace qu’il représente — mais surtout en groupe — dans le deuxième film, il est en quelque sorte ringardisé et rabattu au rang de chair à canon, même s’il est presque toujours vainqueur, en face de soldats bien armés, quoiqu’ils soient presque tous tués ; même si la bête affectionne encore, bien entendu, les recoins sombres et les conduits, son aspect n’a guère plus de mystère pour le spectateur ; les changements d’apparence (nécessaires étant donné la multiplication des créatures) impliquent un certain éloignement par rapport au chef-d’œuvre originel. Le troisième film propose un exemple de spécimen issu d’une autre espèce que l’humain, à savoir un bœuf ou un chien selon la version considérée ; difficile de ne pas constater que son apparence a moins fait l’unanimité du côté des fans, et la non-implication de Giger dans l’aspect final de la créature n’y est sans doute pas étrangère. Le quatrième film de la franchise, qui se distingue par un ton différent de la trilogie (à mon avis suffisante, même si Resurrection n’est pas inintéressant du point de vue conceptuel en ce qui concerne certaines questions centrales à la saga) qui le précède, met en scène des individus à la fois plus intelligents et plus dinosauresques, et surtout le fameux « Newborn », croisement entre Alien et humain sujet, lui aussi, de maintes discussions dans la gent passionnée. Arrivé à ce point, à la fin des années 1990, le monstre extraterrestre n’a plus aucun secret, semble-t-il, pour les spectateurs, tant il est vulgarisé, figurinatisé, parc-d’actractionisé, parodié, même. Une utilisation inédite de la bête telle quelle dans un film ne semble plus possible. L’expérience décevante des films Alien vs Predator témoigne de ce fait : tandis que la créature triomphe dans les jeux vidéo, où son intérêt est patent puisque le contexte est interactif, elle ne peut plus retrouver sur grand écran, forcément, sa fraîcheur et son horreur d’antan, à moins de considérer que la répétition exacte de redites constitue une prouesse digne d’être filmée.

Que reste-t-il à faire, alors ? Ridley Scott a préféré porter les thématiques de ce que l’on comprend être une potentielle nouvelle saga dans un univers élargi qui change de point focal : les Ingénieurs — issus de la fameuse image du « Space Jockey » d’Alien — plutôt que les xénomorphes. Pourtant, abandonner totalement la créature, et, surtout, la question de son utilisation par ses créateurs, et de ses origines, était hors de question, semble-t-il, et lui rendre une forme d’hommage a semblé nécessaire aux concepteurs de Prometheus. L’on dispose d’un excellent exemple de cette intention dans l’énigmatique fresque présentant une créature ressemblant à l’Alien, mais qui peut aussi figurer l’entité que l’on voit émerger du corps de l’Ingénieur dans la dernière minute. Cette révélation est assez discutable : nécessaire en terme de scénario, elle ne fait pas figure de meilleure fin possible pour le film, du moins tant qu’une suite ne reviendra pas sur l’importance de cet évènement (si c’en est un). Pour l’instant, il est difficile d’affirmer absolument à quoi nous avons affaire. Je n’aime pas pour ma part l’idée qu’il s’agisse d’un proto-Alien, et préférerais, si cette créature revient (une fois sa taille adulte atteinte), qu’elle apparaisse comme une espèce différente, quoique apparentée, au célèbre xénomorphe. Cependant, si tel est le cas, je dois noter que son apparition en clôture est également critiquable dans la mesure où elle jette le trouble chez certains spectateurs, à l’image de leur réaction au film tout entier et à certains de ses évènements : c’est la question du taux de préquellisation de Prometheus et des attentes du public. Force est de reconnaître que le développement du projet a causé la perplexité, faisant le yoyo entre préquelle, non-préquelle, et préquelle à demi, ce qui explique sans doute l’incompréhension de certains croyant malgré les évidences que la planète où se déroule l’intrigue serait la même que celle d’Alien, ce qui les pousse à clamer à l’incohérence… alors qu’il n’y en a pas. Les inévitables débats et comparaisons autour de ce nouveau xénomorphe humanoïde probablement tueur s’axent tous, en vérité, autour de la problématique de ce rapport à l’œuvre originelle, que ce soit du côté de Giger (pour son aspect) ou de Scott (pour sa fonction et son histoire). Cette bête – dont nous ne voyons que l’aspect « enfantin », ce qui est à prendre en compte — est, à l’instar de l’imprégnateur et des xénocobras, une créature ma foi bien réussie, dans notre monde décidément trop chargé de monstres, situation dont les films Alien eux-mêmes sont, pour leur petite part, responsables. Innover dans ce domaine tout en produisant une créature passant à l’écran est une chose fort difficile, voire impossible. Cela pris en compte, ce nouvel alien me semble pas mal : c’est un peu comme une version biologique du xénomorphe, qui est biomécanique. L’hommage à la créature originelle est, dans cette perspective, bien trouvé, puisqu’il se traduit par une deuxième mâchoire protrusible, apparemment inspirée par son équivalent dans notre monde, la mâchoire du requin lutin. Mais n’évoquer que ces créatures serait oublier que Prometheus n’est pas vraiment un film à créatures, même si elles y sont relativement nombreuses. On le voit, un certain flottement règne à propos du film et de son orientation ; il semble qu’un peu trop ait voulu être serré dans deux petites heures, d’où les problèmes évoqués plus haut. Certains moments cependant sont déjà anthologiques. J’ai particulièrement apprécié les scènes des hologrammes des Ingénieurs, celle ayant lieu dans la salle de pilotage du vaisseau étant peut-être ma préférée (avec celle du sacrifice initial).

Dernier avis avant de finir ces premières impressions sur le vif, à propos de l’environnement sonore et de la musique. Pour le premier point, même remarque qu’à propos de la réalisation graphique, c’est un sans faute à mon avis. J’ai découvert la bande originale avant le film. Elle est meilleure que ce à quoi je m’attendais, tout en étant, bien entendu, inférieure à ce que j’espérais. On peut distinguer grosso modo (elle ne s’excluent pas), comme dans Alien, une partie relativement traditionnelle, portée par Harry Gregson-Williams et Marc Streitenfeld, de qualité normale et avec des éléments thématiques bien pensés, adéquats et assez majestueux, et une partie plus originale de Streitenfeld, faisant écho aux morceaux d’un autre monde de Jerry Goldsmith pour Alien, et servant à l’instar de ceux-ci à donner son ambiance particulière aux scènes se déroulant dans le milieu des Ingénieurs ou définissant les créatures et mutations. Reproduire l’exceptionnelle étrangeté des effets de Goldsmith n’était pas possible. Je pense que Streitenfeld a bien accompli sa tâche. La musique s’accorde globalement très bien à l’image, à part en certains moments, mais ce n’est peut-être qu’une impression qui s’effacera lors de futurs visionnages. Il s’agit donc d’un ajout intéressant à une franchise bien pourvue en bandes originales de qualité, notamment celles du premier et du troisième film, devenues des références.

C’est sur ce point que je voudrais m’arrêter pour l’instant. Il me semble néanmoins que le film propose quelques points d’accroche sur certaines problématiques de création assez intéressantes. Une attente peut-être démesurée des fans, la confrontation des idées avec la nécessité de réaliser un produit culturel de grande diffusion (la question, notamment, des coupures pour éviter la classification en moins de 18 ans, et la contrainte de satisfaire un public large), la rencontre entre l’imposition d’une réponse et l’imaginaire de fans ayant déjà leurs versions d’éléments tels que le Space Jockey ou l’origine des xénomorphes, l’éternel déchirement entre partisans des révélations complètes et adeptes de la préservation du mystère… sur lesquelles je reviendrai peut-être un jour ou l’autre.

Pour résumer : un très bon ou un bon film de science fiction grand spectacle, selon les avis, bénéficiant d’une réalisation et d’images époustouflantes, Prometheus souffre à mes yeux de problèmes qui pourraient pour une part être facilement réparés par la sortie d’une version longue avec plus de respirations. Certains défauts me semblent inhérents à la conception d’un film à spectacle destiné à une très large audience, et ont donc rabaissé les ambitions du projet, dont le caractère polymorphe, entre découverte, frisson, horreur, questionnement et action, est à la fois une force et une faiblesse. Prometheus est une bonne ouverture à une nouvelle saga — on parle déjà d’une éventuelle trilogie. J’espère que les prochains volets seront l’occasion de corriger les éléments susmentionnés et de donner une plus grande profondeur aux questions présentées comme essentielles dans ce film. La quadrilogie Alien en ressortira grandie, en tant que membre constitutif d’un univers obtenant enfin l’élargissement intelligent qu’espéraient nombre de ses admirateurs.