
Bear McCreary

Les années 2000 ont été celles du grand retour des séries (américaines, surtout, mais pas seulement), avec un accroissement des budgets et de la qualité remarquable. Cette tendance s’est également confirmée dans la bande originale des nouvelles productions, atteignant un degré de qualité que l’on croyait à tort réservé au seul domaine du cinéma. Parmi ces compositeurs talentueux, on cite volontiers, entre autres, Michael Giacchino, qui a contribué, par sa musique innovante, au mystère de la série devenue culte, Lost, mais aussi Murray Gold et Ben Foster, pour leur travail respectif sur Doctor Who (icône culturelle télévisuelle du Royaume-Uni depuis des décennies) et sa série-dérivéeTorchwood (notamment la bande originale de la troisième saison), et, enfin, Bear McCreary, pour son ouvrage sur Battlestar Galactica, dont je suis, disons le simplement, fan[1].
A l’instar de la plupart de ses fans, j’ai découvert la musique de celui que certains appellent le « Grand Ours de la musique », à travers son travail sur la série télévisée de science-fiction Battlestar Galactica. Reprise, mais très différente, d’une série des années 1970, « BSG » a accédé très rapidement au statut de série-culte, certains (et pas seulement les promoteurs publicitaires de sa chaîne de diffusion) y voyant même la « meilleure série à la télévision ». L’incipit de la série est assez simple, et vous trouverez le résumé ailleurs sans difficulté si vous avez envie de la découvrir (il faudra bien que j’écrive un article sur la série elle-même un jour…). Ici, je vais surtout vous présenter, brièvement j’espère, les raisons de mon goût pour la bande originale de la série, mais aussi pour les autres réalisations de McCreary.

La nouvelle version de Battlestar Galactica commença par un pilote de trois heures (ou minisérie) ; la composition de la musique fut confiée à Richard Gibbs, qui effectua un travail remarquable et novateur. McCreary faisait partie de l’équipe. Gibbs ayant décidé de ne pas poursuivre le travail sur la série elle-même, c’est au jeune diplômé (il avait 24 ans) de la prestigieuse USC Thornton School of Music que revint cette tâche ; ce fut pour lui un véritable tremplin, bien mérité, vers la célébrité. Sa musique est en effet l’un des éléments principaux qui ont permis à la série de se hisser au sommet des séries télévisées, à la fois aux yeux des téléspectateurs et des critiques. Au fil de la série, McCreary n’a eu de cesse de la faire évoluer, parfois dans des directions inattendues ; il a en outre profité d’une coopération de plus en plus étroite avec les producteurs et l’équipe, qui s’est concrétisée, vers la fin de cette épopée de science-fiction, par l’inclusion de la musique elle-même dans la diégèse, c’est-à-dire dans l’histoire, avec un rôle essentiel et surprenant.
La musique de Battlestar Galactica se remarque par plusieurs aspects principaux : celle de la minisérie et du début de la première saison est caractérisée par le minimalisme, l’importance des percussions (dans les scènes de bataille), et la présence d’influences ethniques (on pense au générique, où est chanté le Gāyatrī mantra), éléments qui la distinguent des compositions usuelles dans le genre de la science-fiction. Dans les saisons suivantes, tout en redonnant une allure plus instrumentale à ses compositions, en introduisant notamment des thèmes, Bear McCreary étendit le champ des possibilités, avec l’accord des producteurs.

Le succès de ses bandes originales tient à cette variété des genres : à côté des percussions dans des morceaux d’action épiques parfaitement maîtrisés (« Battle of the Asteroid », « Prelude To War », « Storming New Caprica » et « Assault on the Colony » sont devenus de véritables références, surtout les trois derniers), l’on trouve des hymnes (militaire, pour « Wander my Friends » qui a engendré l’un des thèmes principaux de la série ; civil, pour la « Colonial Anthem », hymne colonial qui reprend le thème original de l’ancienne série BSG), des passacailles (« Passacaglia » et ses reprises) et compositions classiques – mais toujours avec la touche BSG (« Diaspora Oratorio »), un extrait d’opérette, de la musique électronique, du rock (la version live d’« Apocalypse » est plébiscitée sur le web), les morceaux aux influences ethniques (chants en langues étrangères ou classiques, portés par des instruments exotiques), des morceaux de piano, une reprise de « All along the Watchtower », et un morceau plus expérimental (« Among the Ruins »)…
Autant d’éléments qui permettent de définir le style de la série, tout autant qu’ils contribuent efficacement, à l’intérieur de l’histoire, à accentuer le réalisme et à creuser la culture des Coloniaux comme des Cylons.

Cet élément se retrouve, démultiplié, dans la série-prequel de BSG, Caprica (tristement annulée avant même d’avoir fini sa première saison). Bear McCreary, en plus de fournir une musique extradiégétique puissante, a beaucoup travaillé afin de suggérer la culture des différentes Colonies à travers les morceaux qu’ils écoutent. Musique traditionnelle, avec les airs des Taurons, repris également dans un morceau de gangsta rap, tenez-vous bien, en grec ancien (leur langue, ou la représentation de leur langue, dans la diégèse – apparemment, les concepteurs de ces séries ont bien appris des techniques que Tolkien mettait en avant dans son œuvre pour donner l’illusion de réalisme), par exemple ; mais l’on compte là encore un hymne national (« Caprica Abides »), la musique qui passe à la radio ou à la télévision (avec de très ingénieux passages de la musique ambiante au score), la musique de jeu-vidéo de New Cap’ City, et même un véritable morceau, de neuf minutes, d’opéra.
Si ces musiques sont très liées à l’univers des séries, si l’on ne peut imaginer les épisodes sans la musique de Bear, les bandes originales ont leur pouvoir d’attraction propre, qui les rend tout à fait agréables pour ceux qui n’ont pas vu les séries, et même pour ceux qui ne les aiment guère, ou pas du tout. On n’a pas affaire à une collection de morceaux rendus bons par le seul souvenir de la scène dans laquelle on les a tout d’abord entendus (comme ce peut être le cas dans les sélections de musiques d’autres séries), mais bien à une œuvre qui tient indépendamment de son support d’origine, et qui a ses propres mérites. Il me paraît inconcevable de passer une semaine sans écouter du Bear McCreary, et lorsque je ne l’écoute pas, je le joue au piano – c’est dire!

Bear McCreary a, consciencieusement, décrit son travail sur Battlestar Galactica sur son blog – une mine d’informations d’un très grand intérêt, que je vous invite à visiter, ne serait-ce que pour découvrir comment se fait une bande originale. Sur son site, il évoque bien entendu aussi son travail sur d’autres séries et d’autres genres ; en effet à la suite, et en parallèle, du succès de BSG, Bear McCreary s’est lancé dans pas mal de projets que je vous recommande également de considérer. Il a notamment exploré dans Terminator : The Sarah Connor Chronicles toute une range de percussions métalliques et d’instruments électriques ou originaux. Dans Eureka, il compose une musique plus légère, très diversifiée là aussi, bien en accord avec l’esprit de la série. Pour le jeu vidéo Dark Void – je n’y ai jamais joué, mais je vous conseille la bande originale ! – il a repris certains éléments caractéristiques de BSG pour les scènes d’action, tout en bénéficiant d’un large orchestre et d’une grande panoplie d’instruments, du duduk aux Hondes Martenot, pour le plus grand plaisir des oreilles. Enfin, dans Human Target, Bear McCreary a pu donner libre cours à son inspiration et créer des morceaux d’action épiques et magistraux, de facture plus classique mais avec pas mal d’innovations et de libertés : la bande originale, de trois disques, vaut (voire dépasse) celles des films à grand budget de ce genre.
Actuellement, Bear McCreary compose la musique de plusieurs séries : The Walking Dead, The Cape, entre autres, parmi tant d’autres projets – allant jusqu’à une parodie de « You’re a Mean One, Mr. Grinch » faite pour Noël dans le cadre d’une vidéo de l’« Angry Video Game Nerd » !
Cet éclectisme n’est cependant pas au détriment de son talent, qui s’enrichit des références croisées, des rencontres inattendues, pour produire une œuvre efficace et complète. Bref, il s’agit là d’un compositeur à découvrir et à suivre sans hésitation. Je vous conseille chaudement la lecture de son blog, très informative et toujours agréable (vidéos, photos, extraits des morceaux). Voyez par exemple (attention : spoilers!) les articles ultra-complet sur le dernier épisode de BSG, le dernier de Caprica ; il y a même trois articles sur l’un des épisodes centraux de BSG concernant l’importance de la musique dans la série.

[1] – Il y a des genres musicaux que je n’écoute pas, non par principe mais par absence de goût pour eux, qui, traités par Bear McCreary ou son entourage (il faut signaler son excellente équipe de musiciens, avec son frère Brendan, sa femme Raya Yarbrough (tenez, voici la présentation de son très bon premier disque.), et les extraordinaires instrumentistes du Battlestar Galactica Orchestra), deviennent soudainement plaisants à mon oreille : si ce n’est pas un signe de grand talent, qu’est-ce que c’est ?