Wikipédia

1 janvier 2011 0 Par Julien Maudoux

La Wikipédia francophone a récemment dépassé le cap du million d’article. Le projet lui-même vient de fêter ses dix premières années d’existence. Quand je me suis inscrit à ce projet d’encyclopédie, en 2005, Wikipédia venait à peine d’atteindre le nombre, déjà impressionnant, de 100 000 articles, et commençait à gagner en notoriété. Six ans plus tard, le projet n’est plus considéré comme « fou » ou « utopique », et l’on commence à mesurer pleinement la révolution causée par l’apparition de l' »encyclopédie libre que vous pouvez améliorer ». Voici quelques petites réflexions personnelles d’un contributeur (autrefois régulier, aujourd’hui occasionnel en raison de ses autres activités) sur Wikipédia.

Mes débuts

7 février 2005 : ma première contribution sur Wikipédia, ou plutôt, ma première contribution sous mon compte d’utilisateur Ulfer. J’ai sans doute fait quelques modifications en IP avant cette date, mais je ne m’en souviens pas, et elles ne devaient pas être bien nombreuses… Cette date marque donc mon véritable début.


Et il y a des meilleurs débuts que cela. Une ridicule ébauche sur la cathédrale Saint-Pierre de Saintes, même pas catégorisée, sans liens internes. Le début du début, en somme, dans l’histoire d’un contributeur qui n’est pas passé par le bac à sable même si cela lui aurait fait le plus grand bien. Je ne me souviens pas de la raison pour laquelle j’ai eu envie de créer cet article-ci en particulier. Ce que je sais, c’est que très vite, je me suis porté sur un tout autre domaine : les Etats-Unis d’Amérique, et, plus spécifiquement pour commencer, la Californie.


Je me souviens qu’à l’époque, beaucoup de sujets en étaient toujours aux balbutiements. C’était très vrai du domaine Etats-Unis de l’encyclopédie. Pays considéré comme « sans histoire » (alors qu’il en va tout autrement), tour à tour admiré et mal compris, comme l’écrit André Kaspi, ce n’était pas celui vers lequel les contributeurs français se tournaient en masse, certaines thématiques spécifiques exceptées. Le travail avait néanmoins commencé, porté par des contributeurs dont certains continuent toujours à ce jour de le conduire, avec une efficace vraiment remarquable, et des résultats admirables (des articles de qualité vraiment exemplaires). Mais le nombre de participants actifs était alors réduit ; Wikipédia croissait lentement mais sûrement. Voyez l’article Californie le 11 mars 2005 et comparez-le avec la version actuelle pour vous donner une idée du travail accompli.


Parmi les tâches qu’il fallait réaliser, il y avait celle, nécessaire, de la création de très nombreux nouveaux articles, afin d’ajouter de la profondeur au domaine : régions, villes, événements historiques, universités, monuments, lieux d’intérêt, etc. Je m’y intéressais assez vite. Je me donnais des tâches simples : traduire à partir de la Wikipedia anglophone, qui était (et qui est toujours) la plus complète, tout en vérifiant les informations données. J’ai passé de nombreuses heures au total à traduire sur Wikipedia jusqu’à aujourd’hui, ce qui a été formidablement appréciable pour l’évolution de mes capacités en anglais. La traduction d’articles sur des sujets divers, et parfois nécessitant un vocabulaire technique totalement inconnu de moi avant de l’avoir entreprise, me permettait d’apprendre par la pratique, certes, mais par une pratique qui avait un objectif et des conséquences immédiatement perceptibles, ce qui la rendait beaucoup plus intéressante et stimulante que le seul et simple exercice scolaire. En outre, il était extrêmement intéressant à mes yeux de ne pas apprendre à connaître les Etats-Unis d’une manière purement externe, passive et réceptive, mais dans ce processus qui me permettait d’intégrer ce savoir que je traduisais, que je trouvais dans les sources, et que bientôt je recherchais moi-même.

De quelques intérêts de participer à Wikipédia

C’est dans ce sens que Wikipédia (ou l’élaboration de projets scolaires sur un modèle similaire) peut représenter un formidable exercice pédagogique, et certains professeurs l’ont compris, qui enseignent à leurs élèves non seulement comment utiliser les contenus de l’encyclopédie (ce qui nécessite, effectivement, un apprentissage : le collégien/lycéen voire l’étudiant qui recopie sans réfléchir un article qui n’a pas été rédigé avec un soin particulier dans la vérification des sources ou risque d’avoir été vandalisé par un mesquin quelques minutes plus tôt, c’est devenu un lieu commun, malheureusement représentatif d’une pratique répandue), mais aussi comment participer au projet, ou, au moins, comment écrire un article encyclopédique dans l’esprit Wikipédia.

J’en reviens à mon propos sur les articles et la « profondeur » de l’encyclopédie. Ce qui est très intéressant avec Wikipédia, c’est que, vu son mode de fonctionnement, l’absence du problème de place (par rapport aux encyclopédies papier), et le nombre de contributeurs (aux intérêts très divers), elle peut aborder, tant qu’ils présentent un caractère encyclopédique et un certain intérêt, bien des sujets que l’on trouverait difficilement sur une autre encyclopédie, ou qui du moins n’y seraient qu’évoqués. Cette diversité se retrouve dans la liste des contenus jugés « de qualité » ou « bons » par la communauté : à côté d’un article encyclopédique typique par son thème (Napoléon III), l’on peut trouver un article sur la ligne 3 du tramway d’Île de France, sur l’histoire évolutive des lémuriformes, sur, enfin, l’exécution par éléphant, articles parfaitement sourcés, référencés, et relus.

Les atouts, les débats, les problèmes

Cet avantage contient en lui-même son propre problème, sujet de nombreux débats au sein des participants. Si Wikipédia indique bien qu’elle n’est pas, et ne doit pas devenir, une « base de données », les vues sont diverses sur le sens à donner à l’expression « caractère encyclopédique d’un article ». La question s’est largement posée, par exemple, en ce qui concerne les personnages et mondes de fiction. Le débat est devenu un véritable marronnier ; certains évoquent, non sans humour, et avec un sens de l’hyperbole, le fait que Wikipédia serait constituée de 90% d’articles traitant de communes sans importance, de joueurs de football, de Pokemon ou de lignes de bus, pour 10% d’articles intéressants et encyclopédiques. D’autres estiment que Wikipédia peut se montrer au contraire plus large qu’elle ne l’est. Aussi faut-il procéder à des prises de décision, afin de déterminer quelle voie choisir, et c’est loin d’être toujours facile.

Wikipédia est en effet un projet communautaire, avec les bons et les mauvais côtés que toute entreprise collective peut présenter. D’un côté, l’on peut assister à une formidable coopération entre contributeurs, qui permet, parfois rapidement, de faire passer une ébauche au statut d’article satisfaisant, ou même de bon article ou d’Article de qualité. De l’autre, la situation est plus sombre : querelles, impossibilité d’établir un consensus autour d’un point délicat dans un article, départs de contributeurs expérimentés lassés, etc. J’ai été frappé, durant ces cinq années, de voir croître à la fois l’encyclopédie, mais aussi la communauté en tant que structure, avec ses prises de décision, ses votes, et, aujourd’hui, des organes de contrôle, de modération, d’arbitrage, tout à fait nécessaires, mais dont l’existence rappelle tristement que des problèmes ont souvent lieu.

L’un des problèmes de Wikipédia reste le fait qu’il y a un incroyable fossé entre les milliers d’utilisateurs au quotidien du site, qui profitent du travail des contributeurs, et les contributeurs eux-mêmes. D’où une part, je pense, des abandons, des aigreurs, et du manque de motivation qui m’a moi-même souvent gagné. Entre contributeurs, bien sûr, on peut s’entraider et s’entre-féliciter. Mais il est vrai que l’effort parfois très massif (il suffit de voir les contributeurs les plus actifs, et les administrateurs qui opèrent la maintenance) fait face à un lectorat la plupart du temps peu reconnaissant. On voit assez peu de messages, finalement, qui remercient, tout simplement, les participants. Le livre d’or n’est pas une page très souvent modifiée. Parfois, des anonymes laissent des remarques acerbes et sèches en page de discussion, sur une erreur éventuelle, en oubliant qu’ils peuvent la modifier eux-mêmes, et que, s’ils ont pu lire le reste de l’article, c’est grâce au travail de bénévoles, et pas à l’apparition magique d’un contenu.

Ensuite, il y a le vandalisme, qui se moque bien entendu des efforts accomplis, surtout lorsque, insidieux, il consiste à modifier des nombres, une information précise (en lui attribuant le caractère de la véracité, ce qui est sadique), ou à réduire volontairement la qualité d’une page (j’ai parfois rencontré le cas). Enfin, il y a le regard méprisant de certains sceptiques sur le projet, alimenté par certaines dérives qui ne sont pas généralisables à Wikipédia toute entière, mais qui contribue à en répandre une image parfois faussée.

Bien utiliser Wikipédia.

La plupart des critiques adressées à Wikipédia perdent de leur force, une fois que l’on a compris que les problèmes majeurs relèvent d’une mauvaise utilisation du site par les internautes, et que certaines questions qui pouvaient, autrefois, soulever débat, sont aujourd’hui devenues secondaires. Pour utiliser au mieux Wikipédia, il faut lire tout d’abord les recommandations présentes sur les pages d’aide du projet, qui indiquent bien la spécificité de l’encyclopédie et invitent à la prudence.

Face à un article particulier, un moyen pratique et rapide de s’assurer de sa qualité, de sa finition et de la véracité de ses informations, est de vérifier son statut : on peut accorder confiance à un article de qualité, à un bon contenu, ou à un article évalué par les contributeurs en page de discussion. L’on fera toujours plus confiance à un article présentant des sources, des notes et des références.

Cela peut se révéler insuffisant : en cas de doute, il est possible de consulter la version contrôlée, lorsque l’article a été labellisé ; l’on peut, pour les autres articles, parcourir rapidement la page de discussion ou vérifier l’historique afin de constater s’il y a eu vandalisme, et de mesurer le degré de confiance à accorder aux rédacteurs de la page. La probabilité de rencontrer des erreurs est beaucoup plus grande sur les articles spécialisés et peu suivis par les contributeurs, que sur les grands articles très fréquentés, où elles sont corrigées très rapidement. Il faut savoir en effet que chaque contributeur peut « suivre » les pages auxquelles il a contribué : s’il repère un vandalisme, quelques secondes suffisent à le corriger.