Dumas-Maquet : Une collaboration féconde et houleuse (par Alicia Ferjoux)
Alicia Ferjoux
Dumas-Maquet – Une collaboration féconde et houleuse
« Pour moi, toute collaboration avec un autre que vous est de l’adultère. »
Lettre de Dumas à Maquet, décembre 1850.

Alexandre Dumas (père) et Auguste Maquet se rencontrent par l’entremise de Gérard de Nerval, qui les pousse à collaborer pour créer Bathilde (1839, pièce de théâtre) qui paraît sous la seule signature de Maquet.
Pour bien comprendre cette collaboration, il faut remonter plus tôt dans le siècle. Au XIXe siècle, les écritures plurielles (ou collaborations) sont très nombreuses, par souci de rapidité et d’efficacité ; des auteurs tels que Hugo ou Vigny y participent. Mais Théophile Gautier raille ces habitudes, qui pour lui dénaturent l’écriture et la mettent au rang de la couture.
Dumas est connu par ce cercle pour repérer les faiblesses des textes des autres et les rectifier en urgence. On lui confie donc souvent des œuvres déjà bien avancées voire parfois achevées et refusées par un ou plusieurs directeurs de théâtre. Ses collègues lui ont donné le titre de « médecin consultant pour pièces boiteuses ». Sa pièce Christine par exemple lui a posé des problèmes la veille au soir de la première, et il ne doit de l’avoir fini qu’à l’aide de Victor Hugo et Alfred de Vigny (qui lui ont pris le texte et se sont tous les deux enfermés jusqu’à ce que ce soit fini).
Auguste Maquet, né en 1813, est un brillant élève au lycée Charlemagne. Il devient à 18 ans professeur suppléant. En 1833, son drame L’Expiation (en un acte et en vers), écrit en collaboration avec Nerval, paraît. Il devait être joué à l’Odéon, mais il fut retiré au dernier moment. Après sa première collaboration avec Dumas, ce dernier reprend la nouvelle Le Bonhomme Buvat ou La conspiration de Cellamare de Maquet pour en faire un roman qui paraît dans Le siècle sous le titre du Chevalier d’Harmental, et sous sa seule signature (qui fait mieux vendre que les deux). Maquet sera toutefois payé en conséquence. Pour cet ouvrage et le suivant, Sylvandire, le nom de Maquet n’apparait que dans la dédicace : « A mon bon camarade Auguste Maquet. Souvenir de franche et sincère amitié. » Il n’y a pourtant pas encore de réelle collaboration puisque Dumas réécrit sans échanger d’idées avec Maquet.
Avant Sylvandire, Dumas travaille avec nombre d’auteurs, tels que Félicien Mallefille, Hippolyte Auger ou Paul Meurice, mais cette œuvre marque le début d’une collaboration privilégiée entre Maquet et Dumas, entre l’archiviste et le romancier. En sept ans, entre 1844 et 1851, ils font ensemble dix-sept romans (Les Trois Mousquetaires (1844), Une fille du régent (1844), Le Comte de Monte-Cristo (1844), La Reine Margot (1844), La guerre des femmes (, Vingt ans après (1845), Le Chevalier de Maison-Rouge (1845), La Dame de Monsoreau (1845), Le bâtard de Mauléon (1846), Joseph Balsamo (1846), Les Quarante-Cinq (1847), Le Vicomte de Bragelonne (1847), Le collier de la reine (1848), La Tulipe noire (1850), Ange Pitou (1850), Olympe de Clèves (1851) et Ingénue, ainsi qu’une douzaine de drames.
Il s’installe donc une certaine routine, une certaine convention entre eux : Dumas choisit le sujet et donne un plan initial de l’œuvre, Maquet compulse les archives et Mémoires (Le Comte de Monte-Cristo par exemple est issu de Le diamant et la vengeance dans les Mémoires historiques tirés des archives de la police de Paris de Jacques Peuchet) et envoie un texte à Dumas, qui corrigeait pour rendre l’histoire plus dynamique, plus vivante et plus lisible. Ils ne se rencontraient que rarement (considérant tous deux cela comme une perte de temps), déjeunaient ou dînaient seulement ensemble de temps à autre pour décider des grandes lignes. Sinon, ils communiquaient surtout par billets, puisque chacun travaillait dans sa cellule et ne voyait personne. Dans l’ensemble, Dumas suivait docilement l’intrigue de Maquet et le questionnait pour savoir la suite ou une information complémentaire ; il ne dérogeait à cette règle que lorsqu’il voulait ajouter une anecdote, qu’il faisait rédiger par son ami. Le génie de Dumas vient entre autres du fait qu’il se souciait du lecteur : il soignait le détail et éclairait la trame du récit pour rendre la lecture fluide et aisée. Dumas ne montre jamais sa version à Maquet (par manque de temps ou par manque d’envie ?), et il lui est arrivé de dire à son collaborateur d’envoyer directement sa version au journal sans qu’il ne puisse la réécrire, lorsque les délais étaient trop justes. Au bout d’un moment, ils se connaissent tellement bien que l’un peut écrire le feuilleton d’un jour et l’autre du lendemain sans qu’on puisse dire quel passage est de qui. On compte donc beaucoup de billets de Dumas à Maquet lui demandant d’accélérer, de lui donner plus de matière à travailler, puisqu’il était toujours pressé par son imprimeur. Ils écrivaient même plusieurs œuvres de front pour contenter plusieurs journaux différents.
Dumas avait donc toujours besoin de la copie de Maquet pour écrire ou avancer, ne pouvant rien faire sans. On sait que très peu de texte sont de Dumas seul ; il a toujours besoin du brouillon de quelqu’un. Il a par ailleurs toujours professé une théorie du droit du plagiat.
Dès qu’il avait le manuscrit de Maquet en main, il le recopiait dans un grand cahier portant son chiffre (arrangement stylisé des initiales du nom) et ses armoiries, se l’appropriant ainsi, au nom d’une universelle collaboration. Aussi, même s’il reconnaît sa collaboration avec Maquet, a-t-il l’impression d’être le seul auteur de son livre. De plus, il corrige le texte comme s’il donnait une leçon d’écriture : en réparant les maladresses, en précisant, en faisant des choix d’écriture… C’est en fait toute sa poétique ; il se dit « maître réécrivain ».
En tant que deuxième dans l’ordre de l’écriture, Dumas a toujours une position avantageuse, ce qui, ajouté au fait qu’il était souvent le seul à signer, explique que, dans les débats qui ont suivi, il soit considéré comme le plus doué des deux, et que Maquet soit tombé dans l’oubli avant d’être redécouvert par les détracteurs de Dumas.
Courant 1848, une grande crise frappe le Théâtre Historique (théâtre géré par Dumas) : il y a de moins en moins de demandes (en 1851, Louis-Napoléon Bonaparte contraint les journaux à réduire l’espace dédié aux feuilletons), et Dumas ne peut plus payer Maquet. Parallèlement, il a des dettes et ne peut plus respecter ses engagements vis-à-vis de son collaborateur. C’est le début de la fin entre eux.
En janvier 1857, Auguste Maquet intente un procès à Alexandre Dumas pour récupérer l’argent qu’il lui doit. Le procès sera jugé l’année suivante. Le juges accordent à Maquet 25% des droits d’auteur et l’argent qui va avec – Dumas ne paiera jamais. La double signature ne sera donc reconnue qu’après sa mort, à partir de 1952 (date d’entrée des œuvres dans le domaine public) mais elle restera toujours invisible.
Dumas achèvera seul Ange Pitou, fera d’autres romans qui auront beaucoup moins de succès, et, une fois le Théâtre Historique définitivement en faillite, il fuira vers Bruxelles.
Maquet tente de poursuivre l’aventure seul et écrit entre 1852 et 1856 La Belle Gabrielle (qui se situe historiquement entre la Dame de Monsoreau et Les Trois Mousquetaires), Le Comte de Lavernie (entre Le Vicomte de Bragelonne et Le Chevalier d’Harmental) et La maison du Baigneur, qui auraient eu de nombreuses rééditions. Il conclut en disant : « notre galerie de romans historiques se continue maintenant sans interruption de la Saint-Barthélemy à la Terreur ». Dumas essaiera de faire de même de son côté, mais échouera.
C’est Maquet qui a tiré Dumas vers le roman historique (dans lequel on le connaît surtout maintenant) – il écrivait auparavant indifféremment des romans mondains, érotiques ou sentimentaux.
Alicia Ferjoux