
Quelques notes sur l’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly
Voici quelques notes sur l’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, autour de la question du fantastique dans l’oeuvre.
Le fantastique dans l’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly
Le fantastique est un genre littéraire caractérisé par une incertitude qui provoque chez le lecteur l’inquiétude, l’angoisse et la peur. L’inclusion d’éléments surnaturels et étranges dans un texte autrement réaliste y remet en cause les cadres établis, les perceptions habituelles, de telle sorte que l’on est conduit à hésiter entre une explication surnaturelle et une explication rationnelle des faits, ce qui produit un sentiment de malaise. Barbey d’Aurevilly, dans ses études critiques, s’est toujours intéressé à ce genre, qui, lorsqu’il écrit l’Ensorcelée (dont la première publication, par épisodes, remonte à 1852) est en plein développement – influence du roman gothique anglais sur la production européenne et, depuis l’Amérique, influence de l’œuvre d’Edgar Allan Poe. L’enthousiasme de d’Aurevilly est explicite : pour ce féru d’imagination, le fantastique serait la « meilleure gloire du XIXe siècle ». Aussi, lorsqu’il se lance dans l’écriture l’Ensorcelée, D’Aurevilly a-t-il moins l’intention de concevoir un « roman historique » au sens propre du terme que de suivre son vif penchant pour l’imagination et la représentation des caractères et des mœurs dans un ordre de vérité plus profond :
« Qu’importe, du reste ? Qu’importe la vérité exacte, pointillée, méticuleuse, des faits, pourvu que les horizons se reconnaissent, que les caractères et les mœurs restent avec leur physionomie, et que l’Imagination dise à la Mémoire muette : « C’est bien cela ! » »
L’obscurité historique entourant la période particulière de l’histoire de la Normandie (pas de chroniques avérées) qu’il entend donner comme cadre à son récit laisse libre place à l’imagination. « Où les historiens s’arrêtent, ne sachant plus rien, les poètes apparaissent et devinent[1] », écrit l’auteur ; « les ombres et l’espèce de mystère historique » qui « entourent [la Chouannerie] ne sont qu’un charme de plus » dans le roman. Et ce charme, c’est le fantastique et « cette double poésie de l’inculture du sol et de l’ignorance de ceux qui [le] hant[ent] » : l’intrigue du roman a lieu dans un cadre surnaturel, en partie fondé sur les légendes régionales et les « superstitions » (le mot revient souvent) des habitants de Blanchelande. Si l’on perd sa route en Lessay, c’est dira Tainnebouy, parce que l’on a « marché sur mal herbe » ; si la Blanche, sa jument, est blessée, c’est parce qu’un pâtre lui a jeté un sort, par vengeance – comment en effet expliquer son état, puisqu’elle n’a aux sabots ni entaille, ni enferges ? « Vous allez p’t-etre vous moquer de moi », commence Tainnebouy avant d’émettre ses hypothèses surnaturelles ; il y croit sans trop de réserve[2]. Dans toute l’œuvre, les superstitions normandes sont utilisées comme moyen d’interpréter les relations entre les personnages, entre les évènements. La superstition n’est pas considérée comme intrinsèquement négative, bien que ses aspects les plus obscurs soient rejetés ; c’est pour d’Aurevilly le premier pallier d’un mode différent d’appréhension du réel, qu’il n’est pas sans avoir lui-même éprouvé, comme il l’écrit dans un Memorandum de 1836 :
« Cacheté une lettre à A(polline) que j’avais écrite hier, la nuit, de peur de l’avoir à écrire aujourd’hui qui est le 13 du mois. Je suis superstitieux en diable et ne veux point me brouiller avec elle. Ce jour pouvait influer sur nos sentiments à l’un et à l’autre, et d’une manière funeste ; et quoi que je n’en fusse nullement certain, j’ai pourtant sacrifié à mon Doute[3]. »
Au-delà de l’exemple personnel très circonstancié, Barbey a réfléchi sur le mécanisme et les effets de la superstition, dans ce même Memorandum :
« Les êtres les moins véritablement superstitieux que j’ai connus, dans toutes les classes de la société, étaient les plus foncièrement médiocres. […] En tout état de cause, être superstitieux montre que l’on est capable de profondeur d’impression. »
Il ajoute encore dans Ce qui ne meurt pas, que « la superstition est la compréhension la plus vive des mystères de l’âme humaine », inexplicables.
Tainnebouy n’émet aucune forme de doute concernant le rôle joué par l’abbé dans la sonnerie des cloches : il ne peut expliquer la mort de son enfant autrement que par leur influence maléfique. Le narrateur n’a pas de peine à trouver une raison plus terre à terre à l’incident, mais le doute subsiste, aidé en cela par la position ambigüe du narrateur qui transparait à chacune de ses prises de position sur le fantastique dans le texte, entre rejet du surnaturel et croyance en même temps en des forces supérieures liées à la religion. Toutefois, selon les passages, l’intensité de l’indécision augmente ou décline, portant le texte ici du côté de l’étrange, et là à la bordure du merveilleux, ce qui pose la question de la validité de l’inclusion de l’Ensorcelée dans le genre fantastique ; il faut, pour y répondre, analyser les différentes modalités du fantastique dans le texte.
Le fantastique s’inscrit d’abord géographiquement. Au sens le plus large possible, il y a selon Barbey (mais les Goncourt et d’autres au XIXe partagent l’idée) un « fantastique de la réalité » en province, où, pour le lecteur parisien, tout devient tout de suite plus extraordinaire, surtout dans une région telle que la Normandie, chargée d’histoire, d’histoires et de traditions surnaturelles[4], que Barbey a tirées de sa mémoire et d’un livre tel que La Normandie romanesque et merveilleuse, Traditions, légendes et superstitions populaires de cette province, d’Amélie Bousquet[5]. Dans l’Ensorcelée, le surnaturel domine d’abord dans le paysage de la lande, « mine d’incertitude dans un monde qui veut tuer l’incertitude[6] », qui en constitue l’épicentre épiphanique, depuis lequel il rayonne sombrement sur d’autres lieux (dont son annexe, le « vieux probytère », et l’église une fois la nuit tombée). Le surnaturel y est invoqué dès les premières pages : « On ne saurait dire l’effet [que les landes] produisent sur l’imagination de ceux qui les traversent, de quel charme bizarre et profond elles saisissent les yeux et le cœur[7] » caractérise l’espace-lande en général ; « dans le langage du pays, il y revenait », montre la spécificité de celle de Lessay, très surnaturellement chargée. L’horreur y rampe, celle d’assassins et de spectres, mentions qui préfigure, dès l’orée du récit, le devenir des personnages : Thomas Le Hardouey, meurtrier présumé de l’abbé (et peut-être de sa femme ?) ; La Croix-Jugan, à moitié spectre de son vivant déjà, qui y fait de nuit des apparitions, lancé à grand vent sur son cheval. En outre, la description annonce déjà le personnage de Pierre Cloud, à travers la mention de la « chopine » et du « pot » que le narrateur donne comme explications psychologiques possibles des récits extraordinaires qui s’« ajoutent à l’effrayante renommée de ces lieux déserts. »
C’est dans cet espace où les repères se perdent, comme les chemins, dans l’indéterminé, que le narrateur nous invite. Son orée est déjà marquée par l’étrange et le malaise, provoqués par des personnages tels que la tenancière du Taureau rouge et sa fille, muets, immobile ou au patois incompréhensible, qui annoncent les pâtres dont la lande est le domaine. Cette lande, les personnages la traversent toujours de nuit, ou tout au moins au crépuscule, heures de l’incertitude par excellence, où règne souvent une brume réminiscente des romans gothiques, ou une obscurité dans laquelle il est ardu de distinguer les personnages, qui deviennent alors instruments du destin (Thomas Le Hardouey, lors de sa deuxième rencontre avec les pâtres) et allégories des noires passions qui les dominent. La proximité de la lande influence ; son aura ténébreuse contamine ses abords, le vieux presbytère, Blanchelande, les habitants eux-mêmes. C’est le lieu où le surnaturel est le plus palpable et le plus proche dans l’œuvre, à travers les épisodes de la blessure incompréhensible de la jument de Tainnebouy, l’écoute des cloches de la messe de minuit du prêtre maudit, la vision de Le Hardouey de son cœur mangé par sa femme et La Croix-Jugan. Et pourtant, elle ne relève pas du genre merveilleux. Les contes qui circulent à son sujet sont des on-dit (les récurrences du pronom personnel indéfini « on » sont notables dans l’établissement du fantastique), et le caractère véridique des faits étranges qui y sont constatés (ou crus) peut toujours être remis en cause. Le lecteur se trouve, comme Jeanne, ou bien comme Tainnebouy et le narrateur, devant un carrefour, face à une pluralité d’interprétations qui mènent toujours à la réaffirmation du doute consubstantiel au fantastique. Le surnaturel est présent mais n’est jamais totalement admis (comme dans le genre merveilleux) ; contrairement au fantastique de Poe ou d’Ann Radcliffe, celui d’Aurevilly dans l’Ensorcelée présente l’impossibilité de tout rationnaliser ; le fantastique n’y est pas non plus entièrement subjectif, comme chez Hoffmann ; il se répand à travers la description des lieux, chez les personnages eux-mêmes, et dans tous les constituants du récit.
L’onomastique elle-même, révélatrice, est fantastique, entre le surnaturel d’un nom prophétique (la première partie de celui de l’abbé, La Croix, peut faire allusion à la véritable Passion soufferte par le personnage ; le nom de la Clotte, Mauduit, est très clair, puisqu’il suffit de lui retirer une voyelle pour révéler le caractère tragique de son histoire et de son influence sur Jeanne ; quant à Feuardent, le nom de jeune fille de la protagoniste, n’évoque-t-il pas autant son passé familial que son avenir de femme ravagée par la passion ?) et le réalisme du nom normand (mais toujours chargé d’une affectivité, surtout celui des nobles). Ce fantastique du nom révèle du reste sa force lorsque les habitants de Blanchelande surnomment un taureau blanc « le moine de Blanchelande » en référence à l’abbé de La Croix-Jugan :
« Le surnom, du reste, avait porté malheur à la bête, car elle s’était éventrée sur le pieu ferré d’une barrière dans un accès de fureur, et d’aucuns disaient qu’on avait eu tort et grand tort, et qu’on en avait été puni, d’avoir donné à un animal un surnom qui avait été le nom d’un prêtre. »
Les descriptions, les portraits des personnages touchent également au surnaturel : que ce soit la catalepsie de la Clotte (au début du chapitre VIII par exemple), l’horreur du visage de la Croix-Jugan (« [Jeanne] eut enfin une sensation sans nom, produite par ce visage qui était aussi une chose sans nom. », nous soulignons – chaque description de cette face torturée tient d’un sublime de l’horreur – « c’était magnifique et c’était affreux » – qui participe aussi au fantastique), le palissement presque mortel de Jeanne aux chapitres VII et VIII ou au contraire ses « rougeurs » maintes fois dépeintes, qui font signe en dévoilant physiquement l’ensorcellement effectif de la femme[8] et la profondeur de sa passion rubéfiante. Les métaphores et les images filées, en rapport avec le feu et la maladie, du portrait de Jeanne, forment une gradation ascendante au fur et à mesure de sa chute : « écarlate » du fait de ces « taches effrayantes », elle devient comme « une torche humaine » au « visage incendié ». L’éthopée des personnages est approfondie et prend tout son sens grâce au fantastique.
La Croix-Jugan est un être ténébricole, cinéraire, et, à l’instar des pâtres, vagulant[9]. Mystérieux tout au long de l’œuvre, il conserve son énigme au-delà de la lecture. Il a échappé à la mort, mais la mort le tient dans ses rets : « Les balles ont déjà fait un lit sur sa face à la dernière qui s’y couchera, pour le coucher sous elle à jamais. Ch’est le bruman des balles ! » prophétise l’un des pâtres que vient consulter Le Hardouey. Sa survenue chez La Clotte produit le même effet que l’apparition d’un spectre, d’un mort-vivant : annoncé par le cri de Clotilde Mauduit, il n’est d’abord qu’une « ombre épaissie » sur le pallier, avant d’entrer théâtralement et de déclarer lui-même, « en jetant ces paroles comme la dernière pelletée de terre sur un cercueil », qu’une partie de lui-même est morte et enterrée. Nous avons affaire à un personnage hors du commun (« Non, ce n’était pas un homme comme un autre que Jéhoël de la Croix-Jugan » explique la Clotte à Jeanne), comparé à plusieurs reprises à d’autres êtres exceptionnels, historiques ou légendaires (à Marius et aux Anciens Normands dont il présente la « surhumaine physionomie », entre autres)[10]. L’abbé renverse les cadres en étant un héraut de Satan plutôt qu’un serviteur de Dieu. S’il est anaphrodiste, ce n’est pas parce qu’il est prêtre, mais parce que son goût se porte ailleurs qu’envers les excès pygocoles : vers la chasse (l’épisode où il refuse l’amour de Dlaïde en sonnant du cor comme à l’occasion du huage des bêtes – ce qui la rend folle – est révélateur) et la tuerie (lors de la guerre des Chouans). Figé dans un état médian (il est assimilé à plusieurs reprises à une « statue »[11]), incapable d’exister véritablement en dehors de la lande[12], lieu des fantômes, terre du passé, le personnage poursuit son idée fixe de continuer le combat de la chouannerie même si c’est devenu impossible. Son quotidien est déjà marqué par l’incessante répétition qui caractérisera le fantôme vu par Pierre Cloud. C’est au moment même où il eût pu revenir à la vie, à l’action, grâce à la célébration de sa première messe, au moment symbolique de Pâques, qu’il la quitte, assassiné.
Clotilde Mauduit également présente des aspects surnaturels, notamment avec les pressentiments sinistres qui la touchent aux moments-clés de l’ouvrage – celui de la mort de Jeanne, mais aussi les « avertissements » de Dlaïde, entendus la nuit en rêve, sur le sort de Jeanne. Inexplicable également est la sorte de vengeance surnaturelle qui a terrassé ses ennemis : ceux qui l’ont tousée sont morts « de malemort ». Elle aussi est comparée à un personnage biblique, Hérodiade, responsable, par l’intermédiaire de sa fille Salomé, de la mort de Jean-Baptiste ; cette imagerie est redoublée par la présence dans sa chambre d’un tableau présentant Judith décollant Holopherne.
Les pâtres sont ceux qui rapprochent au maximum le texte du merveilleux, tant ils semblent tout droit sortis des légendes dont ils font l’objet chez les Normands. Toutefois leur qualité de sorciers n’est jamais clairement posée : même dans la scène du miroir, ils paraissent plus spectateurs de la vision d’un Thomas Le Hardouey décontenancé, qu’acteurs de la révélation. En outre, ce sont les premiers à remettre en cause les pouvoirs qu’on leur prête (par exemple en les jugeant inférieurs à celui de La Croix-Jugan) ou à s’étonner de la « réussite » de leurs « sortilèges » (lors de la découverte du corps de Jeanne), bien qu’ils conservent une certaine préscience relevant de l’incroyable. Notons l’ironie du sortilège que le pâtre enseigne à Jeanne lorsqu’elle veut, d’ensorcelée, devenir ensorceleuse et intimer Jéhoël à accepter son amour : l’« ensorcellement » de la chemise échoue ; l’oaristys rêvée n’advient pas, mais le pâtre rit bien de cette première vengeance sur les Hardouey. Mais l’hésitation persiste malgré tout, puisque le pâtre peut rétorquer, comme il le fait plus tard face à Thomas, que l’échec est dû au pouvoir supérieur, satanique, que détient Jéhoël.
La structure même de l’œuvre renforce le doute et l’indétermination. Il s’agit, tout d’abord, d’un récit où l’oralité domine – c’est même l’un des thèmes de l’ouvrage, qui réfléchit sur le rôle et les conséquences des « jaseries » et « dieries » des personnages et des narrateurs – caractéristique que l’on retrouve dans la majorité des textes fantastiques. Avec la succession de récits enchâssant et enchâssés, de narrateurs, de points de vue (Tainnebouy, Pierre Cloud, la comtesse de Montsurvent, le narrateur lui-même, les commères que sont Nônon et Barbe), qui forcent le lecteur à démêler les fils, à résoudre une énigme qui n’a, au final, pas de réponse établie. L’indétermination est d’autant plus grande que nous nous retrouvons devant un texte aux strates multiples, difficiles à discriminer, et dont le statut n’est pas égal du point de vue de la véracité : le récit rapporté par maître Tainnebouy, qui constitue le corps de l’ouvrage, est un assemblage de récits collectés ça et là, l’herbager n’étant qu’un témoin parmi d’autres, assez éloigné de la sombre affaire de Jeanne et de l’abbé, mais néanmoins craintif et respectueux des superstitions : lorsqu’il interrompt le narrateur en s’exclamant « Ne jostez pas ! » (à propos des cloches, mais aussi, plus généralement, des superstitions locales), c’est en toute sincérité, et c’est suffisant pour enténébrer le reste de son discours, lié à la mort dès avant la mention de celle de Jeanne et de l’abbé, à travers l’évocation du décès étrange de son enfant.
L’ombre qui entoure la mort de Jeanne illustre bien cette incapacité à apporter une réponse définitive : s’est-elle suicidée ? Son mari l’a-t-il tuée ? et à ces deux interrogations rationnelles s’ajoutent deux autres, surnaturelles : est-ce la faute de l’abbé, ou celle du pâtre, ces deux ensorceleurs ? Aucune position dans le texte ne peut définitivement faire autorité. Par exemple, lorsque le narrateur réalise l’observation psychologique rationnelle et traditionnelle de la réaction de Jeanne après sa première rencontre, au vieux Presbytère, avec le pâtre, force est de constater que l’« explication », en réalité, ne fait qu’ajouter au mystère : « trompe-l’œil [qui ne] parvient pas à dissiper le trouble[13] », elle démontre en creux son propre simplisme et son incapacité à analyser en profondeur les mouvements abyssaux de l’âme et du cœur. Ce qui pose la question de sa validité par rapport aux autres modes d’« explication » : rien ne la désigne comme supérieure, le narrateur étant sur ce point un personnage comme un autre. Bref, les trames narratives s’entrecroisent sans se recouper véritablement, et le lecteur les emprunte tel un voyageur erre dans la lande de Lessay, sur ses chemins tôt perdus. Cette structure implexe, en « tiroirs ou en poupées russes », la qualifie Philippe Berthier, « crée [ces] plans successifs de réalité et de crédibilité[14] » dont le fantastique dépend. C’est l’agencement subtil et efficace de ces tiroirs qui lui donne sa force : la complexité de la construction n’est pas autotélique ; elle participe à l’effet de fantastique et le renforce à l’aide de préfigurations, de rappels et de dédoublements, qui donnent au texte son allure tragique. Fiona McIntosh montre comment la double malédiction de Tainnebouy (le sort du berger, l’effet des cloches) « reflète, sur un mode mineur, l’intrigue principale[15] ». Comme nous l’avons vu plus haut, le début de l’ouvrage contient des éléments qui présagent le déroulement ultérieur. Le fantastique se forge aussi à travers la répétition tragique des situations : l’histoire de Dlaïde (qui elle aussi a utilisé les « sorciers » dans la visée d’émouvoir Jéhoël) annonce celle de Jeanne ; le mystère tient à ce que Jeanne, qui pourtant connait l’histoire, mais en réalité, parce qu’elle a entendu l’histoire, va la répéter[16]. A l’instar de Dlaïde, elle se livre abandonnément à un homme qui ne veut pas d’elle, impossible à empriaper, et qui tout au plus la fait valeter pour une cause perdue. Le narrateur tente une analyse psychologique ; mais elle fait ressortir, par ses propres limites, l’aspect irrationnel de la passion de Jeanne. Le dédoublement de la figure de la femme « ensorcelée » montre bien que quelque pouvoir supérieur est à l’œuvre.
L’hésitation subsiste même dans le cas du témoignage de Pierre Cloud, alors pourtant que l’on sait qu’il a eu sa vision du spectre de La Croix-Jugan après avoir abusé des boissons de la taverne ; on le constate en lisant la fin du passage suivant :
« Pierre Cloud, […] s’en revenait de Lessay, où il avait passé la journée et où il s’était attardé un peu trop à pinter avec de bons garçons… Mais il n’en avait pas pris assez pour ne pas voir sa route ; et d’ailleurs ceux qui l’ont accusé d’avoir un coup de soleil dans les yeux sont depuis convenus qu’il avait dit la pure et sainte vérité, et que ses yeux n’avaient pas été égalués. »
L’histoire du « compagnon du forgeron Dussaucey » est en outre modalisée par la mention qu’il aurait été « de tous les gens de Blanchelande celui qui pensait le moins à l’abbé de La Croix-Jugan », position rationnellement justifiée par son absence et à la messe et dans les cabarets, lieux où l’anniversaire de la mort de l’abbé a donné lieu à de profuses discussions. Aussi le lien cause-conséquence qui eût pu s’établir dans l’esprit du lecteur entre les discours sur le prêtre et son apparition hallucinée chez l’homme ivre, est-elle aussitôt reniée, ce qui la rend plus mystérieuse. En outre, quand bien même sa vision eût-elle été le produit de la témulence, le fait que la croyance en l’apparition du spectre de l’abbé de la Croix-Jugan se répand parmi les autres villageois laisse ouverte la voie de l’indétermination, et donc le fantastique. Cette scène centrale du roman livre donc plusieurs possibilités de lecture selon le point de vue adopté par le lecteur, et relever soit d’un fantastique grotesque marqué d’humour noir, soit d’un sublime macabre et tragique à visée moralisante.
Il en va de même dans la scène du miroir et du cœur mangé. La peur éprouvée par le cheval de Thomas Le Hardouey, qui semble percevoir les effluves « magiques » dégagées par le miroir, est l’élément inattendu qui plonge la scène, en la dramatisant, dans un authentique surnaturel, l’animal n’ayant, objectivement parlant, aucune raison d’être effrayé. Autre élément propice au doute, le fait qu’une fois entré (pour la première fois) dans la maison où loge l’abbé, Le Hardouey reconnaisse la salle vue dans le miroir : est-ce l’eau de vie qui le trompe, son courroux qui modifie sa perception, ou a-t-il vraiment « vu » ? Les deux fonctions du miroir s’opposent – celle, réaliste, d’un objet qui renvoie à un Le Hardouey frénétique son propre état mental et son appréhension, et l’autre, magique, d’un dévoilement du caché.
Les personnages ne croient vraiment et profondément aux sorts des pâtres, et donc au merveilleux, qu’une fois arrivés au bout de leur descente désastreuse dans la passion. C’est le cas tant de Jeanne (qui, de l’incrédulité envers les superstitions, finit par demander l’aide magique d’un pâtre) que de son mari. Thomas Le Hardouey est un contempteur des superstitions de ses semblables, mais la jalousie et la haine vont le conduire à croire au pouvoir des pâtres, jusqu’au summum de la superstition, puisqu’il se fie à la vision du miroir, dont il est, dans une perspective rationnelle, le véritable responsable (sa perception s’accordant avec sa crainte). Pour Philippe Berthier, cet effarement de Le Hardouey est le « symbole même de la déroute de la vie dite réelle face à des instances qui la dépassent. » Effarement qui s’exprime aussi dans la violence populaire qui vient s’abattre sur la Clotte. Par un invisible transfert, le sacrilège originel de Jeanne (qui regarde Jéhoël tandis que l’hostie est présenté, perd sa religiosité) entraîne le sacrilège de la foule[17], qui « jase » à l’enterrement. Tout est prêt pour qu’en voyant Clotilde, la violence se déchaîne, puisque le sacré a été bravé déjà à plusieurs reprises. C’est dans l’enceinte consacrée de l’église qu’on l’accuse d’être une sorcière. Commérages et superstitions se rencontrent[18] et, portés par un élan satanique, les personnages plongent en pleine violence, dans l’une des plus terribles scènes du roman. En auteur qui a lu Burke, Barbey d’Aurevilly exemplifie dans son œuvre le sublime de la terreur et de la violence, lié au fantastique, à travers les personnages individuels (les Bleus qui torturent l’abbé) ou bien la collectivité toute entière (les paroissiens de Blanchelande contre une Clotte épuisée et sans défense).
Mais cette croyance dans le merveilleux se limite à l’intérieur du récit et ne gagne pas le lecteur. Le texte ne peut donc pas entrer dans la catégorie du merveilleux, ni dans celle du « surnaturel expliqué[19] » ; en effet, il n’y a pas d’explication rationnelle absolue des évènements surnaturels à la fin de l’histoire ; le doute subsiste bel et bien et est volontairement entretenu. C’est dans cette mesure aussi que la notion d’« étrange pur », en suivant la classification établie par Tzvetan Todorov, qui la définit ainsi :
« Dans les œuvres qui appartiennent à ce genre [l’étrange pur], on relate des événements qui peuvent parfaitement s’expliquer par les lois de la raison, mais qui sont, d’une manière ou d’une autre, incroyables, choquants, singuliers, inquiétants, insolites et qui, pour cette raison, provoquent chez le personnage et le lecteur une réaction semblable à celles que les textes fantastiques nous ont rendu familières.[20] »
ne peut s’appliquer à l’ensemble du roman, bien qu’elle puisse à peu près correspondre à des passages en particulier. Il est difficile de contredire qu’un « souffle fantastique[21] » ou un effet fantastique[22] vente dans l’œuvre, du début jusqu’à la fin, et qu’il a aux yeux de Barbey une importance toute particulière, au-delà de l’attrait purement littéraire qu’il produit.
Ce que la présence et l’influence du fantastique permettent d’éviter, c’est la réduction du récit à la simple analyse psychologique, avatar d’une « pensée moderne » que l’auteur combat de toutes ses forces, et d’un déterminisme qui, en plus de soutirer à l’être humain sa part inhérente de mystère[23], entreprend sournoisement de limiter, voire d’anéantir, les possibilités de l’imagination. L’Homme et le Monde ne relèvent pas seulement du strictement rationnel selon lui ; tout ramener à la raison, c’est occasionner une perte. Or c’est justement ce qu’il advient dans son temps : un « nivellement positiviste » et une « adoration du constat due à la transformation de la science en modèle unique de toute activité intellectuelle[24] » ; Barbey n’entend pas accepter sans lutte le fait accompli[25].
« Laisser planer le doute, c’est refuser d’expliquer l’inexplicable, c’est dire que la vérité n’est pas à confondre avec la rationalité. L’irrationnel existe bel et bien, il est attesté par l’histoire, au sens de la mémoire collective, qui est tout ce qu’il y a de plus vrai[26]. »
C’est surtout à travers l’incipit polémique que l’on pressent les intentions de l’auteur, qui s’oppose à la « prétention » de « [son] époque, grossièrement matérialiste et utilitaire […] de faire disparaître toute espèce de friches et de broussailles aussi bien du globe que de l’âme humaine ». Tout le contraire d’une dispensable prolalia, ce début du roman permet de mieux comprendre l’utilisation du fantastique. En plus de ne procurer que « de malheureuses connaissances tout à fait incomplètes », la tendance positiviste de l’époque « ne comprend plus » et agresse « les divines ignorances de l’esprit » (Barbey évoque, plus loin, au contraire, la « poésie de l’ignorance »). Pour Barbey, opposant au réalisme, l’on ne peut pas atteindre le réel par la seule observation, superficielle, du monde constatable, et surtout pas le confondre avec le vrai dans cette perspective : la réalité est plus complexe et demande d’être creusée[27]. Ainsi pour lui y-a-t-il, analyse Philippe Berthier, « beaucoup plus dans l’homme que tout ce dont l’homme peut faire consciencieusement l’inventaire » : « l’analyse la plus fouillée laisse nécessairement passer ce qui doit lui apparaître comme résidu non identifiable, alors que, pour un chrétien, s’y enracinent les vocations essentielles, celles qui appellent vers la vérité ou convoquent à la faute[28]. » La dimension fantastique a pour vocation de faire apparaître « une limite indépassable : celle du mysterium tremendum auquel se heurte tout homme dès qu’il considère […] les potentialités négatives de sa nature [et] le surnaturel qui se trouve au fond d’un tel gouffre[29] ». Elle s’inscrit donc dans une stratégie à la fois littéraire, parce qu’elle promeut une certaine esthétique à contre-courant, et spirituelle, parce que valoriser ou présenter l’énigme comme part nécessaire du réel, c’est préserver ce qui se fonde sur elle, le religieux. Religieux qui est défendu sur ce point par le narrateur :
« Ce que j’estime infiniment plus que toutes les histoires, l’irréfragable attestation de l’Eglise, qui a condamné, en vingt endroits des actes de ses Conciles, la magie, la sorcellerie, les charmes, non comme choses vaines et pernicieusement fausses, mais comme choses REELLES, et que ses dogmes expliquaient très bien. Quant à l’intervention de puissances mauvaises dans les affaires de l’humanité, j’ai encore pour moi le témoignage de l’Eglise, et d’ailleurs je ne crois pas que ce qui se passe tout à l’heure dans le monde permette aux plus récalcitrants d’en douter. »
Le religieux apparaît bel et bien sous la forme positive de la religion chrétienne, mais cet aspect est d’abord occulté par son envers, la face diabolique, prédominante. Le Diable occupe en effet une place importante dans le récit : les personnages s’y réfèrent abondamment, que l’évocation soit directe ou imagée, et le narrateur la reprend à son compte. Sa première mention, faite non loin de l’incipit : « le Taureau Rouge semblait bâti par le diable devenu maçon pour l’accomplissement de quelque dessin funeste », en annonce bien d’autres – vingt-quatre occurrences du terme exact, plus encore de ses dérivés ou synonymes. La Croix-Jugan, ce diable plutôt que prêtre est presque systématiquement comparé à l’archange déchu. S’il est comparé dans sa jeunesse, pour la beauté de son visage, à « Saint-Michel tuant le dragon », c’est plutôt au Dragon, au diable, qu’il fait penser – assimilation fréquente, qui fait dire à Nônon qu’à voir ce prêtre, c’est plus au démon qu’elle pense aussitôt, qu’à un ministre de Dieu. Les pâtres sont également considérés comme ses serviteurs, notamment celui qui, mal traité par Le Hardouey, cherche à se venger sur Jeanne, et exulte lorsqu’il découvre le corps sans vie de l’ensorcelée :
« Sa face de céruse écrasée avait une expression diabolique, si bien que les vieilles crurent voir le Diable, qui, d’ordinaire, ne rôde que la nuit sur la terre, se manifester, pâle, sous cette lumière, en plein jour, et elles s’enfuirent, laissant là leur linge, jusqu’à Blanchelande, pour chercher du secours. »
La présence du diable en arrière-plan des récits impose, en contrepoids, comme dans un dithéisme, la reconnaissance de Dieu. Pour Pierre Glaudes, selon d’Aurevilly « c’est par le diable que les modernes peuvent arriver à Dieu. Traité de la sorte, un sujet qui passe pour inconvenant est racheté par « la beauté de la peinture » et – complément indispensable – par « l’impression tragiquement morale » que cette peinture laisse « dans les cœurs »[30]. » Barbey, qui croyait « à l’ingérence des puissances occultes dans le monde humain[31] », a exprimé cette idée dans les Diaboliques,
« l’auteur qui croit au diable et à ses influences dans le monde, n’en rit pas, et il ne le raconte aux âmes pures que pour les épouvanter[32]. »
« Pour les épouvanter » : effet littéraire, donc, romanesque (plaisir et fascination mêlés d’effroi éprouvés face à ces scènes fortes), mais aussi moral. Les débordements de passion et de violence, les actes odieux de personnages sataniques, s’insèrent dans la position morale de Barbey d’Aurevilly, qu’il considère chrétienne, mais par les voies détournées de l’inversion et du renversement.
« De par le catholicisme, il n’est interdit, ce me semble, à personne de raconter un fait de passion si terrible, si criminel qu’il soit, d’en tirer des effets de drame, d’éclairer un gouffre dans le cœur humain, quand même il y aurait au fond du sang et de la fange, enfin d’écrire un roman (le roman, c’est de l’histoire possible quand elle n’est pas réelle ; c’est de l’histoire humaine) pour peu que ce roman ne soit pas une prédication d’erreur, car voilà la réserve[33] ! »
On comprend dès lors que le fantastique de l’Ensorcelée s’inscrit résolument dans un cadre chrétien[34], même si l’auteur ne se fait guère d’illusions sur l’efficacité (et même parfois sur la possibilité) du message profond que porte son roman. Ce cadre est porté par les références judéo-chrétiennes qui parsèment le récit[35], parmi les autres superstitions, païennes. Le fantastique chrétien s’articule du côté positif autour du personnage de la Clotte, qui subit une conversion tardive foudroyante à l’issue de la mort de Jeanne, qu’elle pressent étrangement avant de l’apprendre de la bouche de la petite voisine qui vient à son chevet. Enfin capable de prier en toute sincérité, la Clotte reçoit l’énergie nécessaire pour arriver seule à l’église malgré son infirmité, à l’issue du parcours presque christique qui concrétise sa rédemption. Et, lorsque La Croix-Jugan la retrouve mourante dans la lande, l’ardeur martiale qui l’a d’abord dominé se calme et on le voit agir pour la première fois véritablement comme un prêtre – mais l’orgueil l’habite encore, et son discours se révèle ambigu, oublieux que la salvation de Clotilde dépend non pas de son « cœur » ruiné par l’orgueil, mais du « grand cœur de Dieu ». Le sort réservé à Jéhoël témoigne à la fois de l’influence du Malin et du jugement de Dieu. Sa survie tient d’un « miracle » que le récit passe à moitié sous silence : « Qu’arriva-t-il après leur départ ? un tel détail n’importe guère à cette histoire. Qu’on sache seulement que le Chouan défiguré ne mourut pas. » Au contraire, dans son assassinat, l’incertitude demeure quant à l’identité du meurtrier – est-ce vraiment Le Hardouey ? Les pâtres qui l’accusent ne le font-ils pas par intérêt et par vengeance ? Et, si c’est Thomas Le Hardouey, n’est-il pas devenu comme le bras de la volonté divine, voulant empêcher que ce prêtre impur procède au sacrement ? L’incertitude demeure, mais la finalité morale est transparente, dans ce passage comme dans celui, paroxysmique, de la messe de minuit faite par le spectre de l’abbé. Comme l’écrit M. Wandzioch, « le secret que l’auteur nous promet de découvrir [il ne le] révélera pourtant pas. Cette manière d’écrire correspond tout à fait à la recette éprouvée du conte fantastique selon laquelle le mystère est toujours insoluble, tout éclaircissement refusé et le doute subsiste nécessairement[36]. »
D’Aurevilly souligne dans le texte même que « le seul mystère […] est celui des passions humaines » : les éléments surnaturels sont un prétexte pour les révéler, les déchaîner, en dévoiler les abîmes insondables, et leur part d’inexplicable ; ils sont les outils permettant à l’auteur de « faire du Shakespeare dans un fossé du Cotentin ». Comme l’affirme Magadelna Wandzioch, « l’accent est [mis moins] sur la matérialité des phénomènes surnaturels que sur la vérité et la profondeur de l’expérience humaine concernant les faits inexplicables[37]. » L’intérêt se porte donc avant tout sur les « âmes passionnées » – celles, par exemple, de l’abbé, de la Clotte et de Jeanne qui « vibr[ent] toutes trois à l’unisson » lorsqu’ils évoquent les « temps passés » ; le problème, ce n’est pas que l’amour de Jeanne soit causé par une force surnaturelle, c’est que l’amour lui-même est une puissance inexplicable. Ce fantastique de la vie morale et psychique correspond à la tendance du romantisme français, mais « dépasse largement par son esthétique et sa technique particulière, les limites assignées au genre fantastique au cours du XIXe siècle[38] », d’abord parce qu’il s’inscrit dans un roman et non dans une nouvelle, comme dans la plupart des cas à l’époque, mais aussi parce que Barbey va loin dans la relation qu’il établit entre les passions excessives et la possession surnaturelle[39]. L’assimilation du « merveilleux » (terme qui recouvre aussi à l’époque ce que l’on appelle aujourd’hui « fantastique ») au déchaînement de passions difficilement explicables dans le cadre de la seule rationalité est faite dans le texte :
« S’il y avait dans l’histoire de l’herbager ce qu’on nomme communément du merveilleux (comme si l’envers, le dessous de toutes les choses humaines n’était pas du merveilleux tout aussi inexplicable que tout ce qu’on nie, faute de l’expliquer ! »
Tous ces éléments permettent, en multipliant les effets, de s’intéresser au thème central du roman, la fascination, l’obsession passionnée provoquée par une personne (ici l’abbé de La Croix-Jugan, mais en moindre part les pâtres, la Clotte, etc.) ou un objet/lieu (la Lande, l’église, le cimetière) sur les autres[40] ; dans cette perspective, le sens précis à donner au titre, « l’ensorcelée », importe moins que la figuration et le traitement du sujet dans le roman. Dans cette perspective, le fantastique aurevillien constitue un moyen, une technique grâce auquel Barbey peut poursuivre et approfondir l’ambition déjà présente dans Une vieille maîtresse[41], celle de faire une grande œuvre où un « je ne sais quoi tout-puissant » » formé en partie par le fantastique, « au lieu de ramener les passions à une « réalité dégoûtante », leur donne le « tragique idéal » qui les métamorphose en objets esthétiques[42] » dont les interprétations sont larges et plurielles[43]. C’est bien de cela qu’il s’agit dans l’Ensorcelée : le fantastique habitant le récit, nous ensorcelant à notre tour, nous entraîne à découvrir nous aussi, le temps d’une lecture autant plaisante que fascinante et troublante, les abîmes « des passions humaines ».
Travaux cités
Berthier, Philippe. L’Ensorcelée, Les Diaboliques : une écriture du désir. Honoré Champion, 1987.
Bouvet, Rachel. Étranges récits, étranges lectures: essai sur l’effet fantastique. PUQ, 2007.
Colla, Pierre. L’univers tragique de Barbey d’Aurevilly. Renaissance du livre, 1965.
Djourachkovitch, Amélie, et Yvan Leclerc. Province Paris: topographies littéraires du XIXe siècle : actes du colloque de Rouen, 19 et 20 mars 1999. Publication Univ Rouen Havre, 2000.
Glaudes, Pierre. « »Barbey d’Aurevilly, le roman et la question morale », Les moralistes modernes.» Fabula. 30 Octobre 2010. http://www.fabula.org/colloques/document1305.php (accès le 11 5, 2010).
Heede, Philippe van den. Réalisme et vérité dans la littérature. Saint-Paul, 2006.
Jarrot, Sabine. Vampire dans la littérature du XIXe au XXe siècle. L’Harmattan, 1999.
Michel Crouzet, Didier Philippot, Fabienne Bercegol. La pensée du paradoxe: approches du romantisme : hommage à Michel Crouzet. Presses Paris Sorbonne, 2006.
Pascale Auraix-Jonchière, Alain Montandon. Poétique des lieux. Presses Univ Blaise Pascal, 2004.
Rogers, Brian G. The novels and stories of Barbey d’Aurevilly. Librairie Droz, 1967.
Todorov, Tzvetan. Introduction à la littérature fantastique. Paris: Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », (1968) 1970.
Wandzioch, Magdalena. Le romanesque horrifiant de Barbey d’Aurevilly. Uniwersytet Śląski, 1991.
[1] Barbey d’Aurevilly, cité dans (Pascale Auraix-Jonchière 2004), p.261.
[2] (Dimopoulou 2005), p.165.
[3] Nous soulignons.
[4] (Djourachkovitch et Leclerc 2000), p.200-201.
[5] (publié chez J. Techener à Paris en 1845).
[6] (Berthier 1987), p.78.
[7] Nous soulignons.
[8] Marcel Proust, lecteur de Barbey, fait dire au Narrateur, dans La prisonnière, « Ces phrases-types, que vous commencez à reconnaître comme moi, ma petite Albertine, […] ce serait, par exemple, si vous voulez, chez Barbey d’Aurevilly, une réalité cachée, révélée par une trace matérielle, la rougeur physiologique de l’Ensorcelée, d’Aimée de Spens, de la Clotte […] ». Ce thème de la rougeur est effectivement un motif dans l’œuvre de d’Aurevilly.
[9] (Soutet 2004), p.75.
[10] (Soutet 2004), p.77.
[11] (Soutet 2004), p.76.
[12](Johannessen 2008), p.187.
[13](Berthier 1987), p.81.
[14](Berthier 1987), p.163.
[15](McIntosh 2002), p.165.
[16] p.645.
[17] p.647.
[18](Aynesworth 1983), p ?.
[19] (présente dans la classification établie par Todorov).
[20] (Todorov (1968) 1970), p.51-52.
[21] (Au sens où l’entendent Jacques Finné et Sabine Jarrot : « Dans le souffle fantastique, il y a oscillation entre raison et fantastique, une série de faits mystérieux bouleverse l’ordre établi. Cet effet s’obtient par divers moyens : « vocabulaire spécialisé, poncif de décors, de personnages, de situations, voire par une stylistique particulière. » cité in (Jarrot 1999), p.77.
[22] (Bouvet 2007).
[23] Barbey d’Aurevilly : « le mystérieux, le merveilleux, le religieux [sont] choses synonymes », in Les historiens politiques et littéraires, Paris, Amyot, 1861, p.145.
[24] (Michel Crouzet 2006), p.18.
[25] Dans les années 1840-1850 (l’Ensorcelée date de 1852), la Normandie a un autre visage qu’à l’époque évoquée dans le récit, où, écrit Barbey, les habitants de Lessay baignent encore dans l’ignorance et la superstition. Amélie Bosquet, compilatrice de La Normandie romanesque et merveilleuse, écrit au début de son ouvrage, qui a pu inspirer Barbey d’Aurevilly : « A mesure […] que l’esprit des masses secoue le joug des préjugés, et qu’il se débarrasse des vaines rêveries de la superstition, on met autant de soin à désapprendre, à oublier les enseignements traditionnels, qu’on en apportait naguère à les retenir et à les conserver […] Si vous interrogez présentement, sur cette matière, les habitants de nos campagnes, il s’en trouvera beaucoup, parmi eux, qui interpréteront votre innocente curiosité comme une mordante raillerie, et qui refuseront même, avec dédain, de vous communiquer quelques-uns de ces contes naïfs dont ils étaient jadis les infatigables propagateurs. » (p.10-11) Barbey essaie en quelque sorte de juguler cette déperdition, cette tendance qui remplace le génie populaire, moral, par une rationalité à son avis boiteuse.
[26] (Dimopoulou 2005), p.164.
[27] (Heede 2006), p.74.
[28] (Berthier 1987).
[29] (Glaudes 2010).
[30] (Glaudes 2010).
[31] (Colla 1965), p.79.
[32] Barbey d’Aurevilly, Première Préface aux Diaboliques.
[33] Lettres à Trebutien, II, 19-26
[34] « Barbey met en ouvre une esthétique du mystère d’inspiration religieuse », (Glaudes 2010).
[35] (Miguet-Ollagnier 1990), p.106.
[36] (Wandzioch 1991), p.71.
[37] (Wandzioch, Les avatars de la magie dans quelques romans de Barbey d’Aurevilly 1993), p.117.
[38] Ibidem.
[39] (Rogers 1967), p.57.
[40] (Berthier 1987), p.67.
[41] (Berthier 1987), p.71.
[42] (Glaudes 2010).
[43] (Berthier 1987), p.95.