Alexis-Félix Arvers

24 septembre 2010 0 Par Julien Maudoux
Arvers

Juste quelques mots sur Alexis-Félix Arvers, poète et dramaturge français (1806-1850).

On le connait surtout pour son « Sonnet » qui eut une immense gloire à l’époque, occulta le reste de ses écrits, avant de finir dans le même oubli qu’eux :

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ;

À l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.

Théodore de Banville, introduisant une réédition de son recueil Mes heures perdues, écrit :

« Ce petit poëme exquis, achevé, parfait, que citent désormais toutes les Antologies, qui est dans toutes les mémoires et qui pour vivre n’avait même plus besoin de l’imprimerie, a été appelé excellemment, par un usage qui a prévalu : Le sonnet d’Arvers ; et jusqu’à [présent] il a été tout ce qu’on connaissait et ce qu’on voulait connaître de Félix Arvers, en dépit de ses nombreux travaux. Est-ce donc à dire que ce sonnet l’emporte réellement de beaucoup sur les autres œuvres du même poëte ? Non, si l’on considère le don, le talent et l’effort ; oui, si l’on ne veut songer qu’au résultat obtenu. Cette fois seulement, Arvers a trouvé, peut-être en effet grâce à une inspiration étrangère, une situation vraie, poignante, éternelle ; cette situation, il l’a sentie et embrassée en auteur dramatique ; il l’a exprimée lyriquement avec un art harmonieux, sobre et sincère ; il avait fait un chef d’œuvre.

[…]

On ne connaît pas la femme pour qui [le Sonnet] a été écrit, et il ne faut pas qu’on la connaisse ; en ceci encore est l’éternelle justice. Comme elle n’a pas deviné l’amour chaste et résigné du poëte, comme elle ne lui a donné ni une consolation ni un sourire, il faut aussi qu’elle ne marche jamais sur le tapis triomphal qu’il avait étendu devant ses pieds dédaigneux[1]. »

J’aime bien la « Préface » que donne Arvers à son recueil rare – ce pourrait être l’épigraphe de tout recueil de poésie. C’est un lieu commun (occasion de rappeler cette évidence, que l’indifférence envers la poésie n’est pas une tendance de notre époque seule), mais joliment tourné ; l’image qu’il y forme est de celles qui ne peuvent que fonctionner. Arvers vient de déplorer ce « siècle maudit / Où l’amour de la forme a perdu son crédit ; / Une morte saison d’art et de poésie, / Où le désir de l’or, avide frénésie, / Au fond du cœur de l’homme est venu comprimer / Tous les nobles penchans qui voudraient y germer[2] » (l’on peut définir tout autant le XIXe que le XXe et le XXIe de la sorte) ; s’adressant de nouveau à son livre, il déclare :

L’heure ne saurait donc être plus mal choisie

Pour risquer au grand jour ta jeune poésie

Et déjà je te vois, isolé, pauvre et nu,

Végéter dans la foule et mourir inconnu.

Je sens que ce siècle, en son indifférence,

A mon ambition doit laisser d’espérance,

Et j’ai su prudemment, dans mes prévisions,

Rabattre ce qu’il faut de mes prétentions.

Je sais ce que je vaux, et je me rends justice ;

Aussi je n’attends pas que ton nom retentisse

Ni que dès ton début, à tes accens vainqueurs,

Un écho se réveille au fond de tous les cœurs ;

Je n’ai point espéré qu’un boisseau de semence

Produirait dans l’année une récolte immense,

J’ai mis mes vœux moins haut : pourvu que le bon grain

Puisse de temps en temps trouver le bon terrain ;

Pourvu qu’avec amour ma parole arrosée

Germe dans l’angle obscur de quelqu’humbre croisée,

C’est là ton mon espoir, c’est le plus beau loyer

Dont ma peine et mes soins se puissent voir payer[3].


[1] Théodore de Banville « Introduction », 1878, dans Félix Arvers, Mes heures perdues : poésies, Édition de 1878 d’A. Cinqualbre, Paris, p. i et iv.

[2] « A mon livre » (rédigé en avril 1833), p.5, op.cit.

[3] Ibid., p.9